Cinéma
(17 janvier 2008)
Le
rêve de Cassandre
Woody Allen se renouvelle une fois encore dans une tragédie londonienne
au fort accent «dostoïevskien».
Terry
et Ian sont deux frères, inséparables, presque jumeaux. Terry travaille
dans un garage, et Ian aide son père dans le restaurant familial. Sur un
coup de cœur, ils s’offrent le “rêve de Cassandre”, un vieux voilier à
retaper, une vraie folie, totalement hors de leurs moyens. A partir de
là, tout va devenir trop grand pour eux: leurs dettes, leurs rêves, et
même leurs amours. Terry gagne puis perd des sommes énormes au poker, et
Ian se fait passer pour un riche investisseur auprès d’une belle
dépensière. Ils sont alors obligés de solliciter l’aide de leur “oncle
d’Amérique”, qui en contrepartie, leur demandera... un petit service.
Comme le dit le grand Woody lui-même : “la famille n’est-elle pas la
première des mafias ?”
“Le
rêve de Cassandre” est le troisième film que Woody Allen réalise en
Angleterre. Grand habitué des personnages d’intellos torturés, il
explore ici le monde de héros plus modestes, animés d’un fort désir de
revanche sociale, et finalement tout aussi torturés. Car le “service”
demandé par l’oncle Howard les entraînera sur un terrain criminel, et
transformera leur vie en une véritable tragédie. Ces deux frères
Karamazov des faubourgs, si proches jusque là, vont se déchirer et la
vulnérabilité de l’un ne fera que renforcer le cynisme de l’autre. Après
Scarlett Johansson dans “Match Point”, Woody Allen filme ici deux autres
grosses pointures du cinéma international, dans des rôles à
contre-emploi : l’angélique Ewan McGrégor (Trainspotting de Danny Boyle,
ou Moulin Rouge de Baz Luhrmann) dans le rôle du frère cynique et
calculateur, et Colin Farrell, plus physique (“Alexandre” de Oliver
Stone, ou Miami Vice) dans celui du frère tourmenté par le remords. La
caméra, bien que souvent en plan fixe, farfouille les zones d’ombres de
chacun, traque les failles, et pointe la réalité de chacun,
magnifiquement soutenue par l’envoûtante musique de Philip Glass.
“L’univers est sans dieu ni morale, à l’exception de la vôtre, dit
le réalisateur. Chacun porte ses choix moraux personnels, voila
tout”.
Comme à chaque fois,
il est de bon ton de se demander s’il s’agit d’un grand ou d’un petit
Woody Allen, s’il est moins bon ou meilleur que le précédent. Quelle
importance ? Il s’agit juste d’un très grand cinéaste, qui, à 70 ans
passés, parvient encore à se renouveler, au rythme d’un film par an et à
nous faire rire de choses absolument tragiques. Et ça, c’est un vrai
beau cadeau de Noël, même en janvier.
Linda Léonard
Le
rêve de Cassandre,
scénario et réalisation de Woody Allen, avec Ewan McGrégor, Colin
Farrell, Sally Hawkins, Hayley Atwell. Musique de Philip Glass, 108’.
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