Cinéma (
5 mai 2011)
“Tête de bœuf”: quand le silence tue
“Rundskop”,
le premier long métrage de notre compatriote Michaël Roskam, est une perle.
Noire et dérangeante. Quand le passé est occulté, il finit toujours par vous
exploser à la figure.
“Tête de bœuf” est le genre de film qu’on reçoit comme un uppercut. Un
coup de cornes, plutôt, en plein dans l’estomac. Violent? Oui,
mais d’une façon peu démonstrative. Beaucoup plus par son atmosphère, lourde
et sombre, dans laquelle évoluent des personnages que l’on devine rompus à
tous les trafics: jeux, femmes, courses… Et, bien sûr, les hormones.
Bilingue, l’histoire se
déroule entre la Flandre occidentale, Liège et Waremme. Elle met en scène un
personnage peu reluisant, Jacky, engraisseur de bovins. Taciturne, bourru,
ténébreux, l’homme pique ses bêtes avec des hormones de croissance
interdites. La mort d’un policier met soudain aux abois son petit monde
d’éleveurs, de pharmaciens et d’intermédiaires véreux. Qui a tué? Comment
perpétuer le trafic alors que tous les flics du royaume sont sur le
qui-vive?
Un thriller sur les
trafiquants d’hormones? Un hommage à l’inspecteur Van Noppen, abattu par la
mafia belge des hormones il y a plus de quinze ans? Non. Tout cela n’est que
la toile de fond d’un drame qui, petit à petit, transforme Jacky, véritable
bête humaine (Matthias Schoenaerts, effrayant de réalisme), en victime d’une
enfance ravagée, où les adultes se sont compromis au profit (déjà) d’un
trafic lucratif et où l’amitié, par la suite, a eu bien du mal à rester
propre. Hommes et bêtes se retrouvent alors plongés dans un curieux jeu de
miroirs. Qui faut-il plaindre le plus? Le veau brutalement extirpé du corps
de sa mère par césarienne et jeté dans une brouette? Ou le trafiquant
violent, dont l’enfance a été tuée dans l’œuf par une agression abominable,
une impitoyable loi du silence et des compromissions d’adultes?
L’interprétation de
Jacky et ses comparses est magistrale et confirme, si besoin en était,
l’attractivité du cinéma flamand. Dommage que les seuls moments plus légers,
voire humoristiques de ce film, aient été bâtis autour de personnages
francophones caricaturés à outrance. Les deux mondes cinématographiques du
pays se parleraient-ils si peu?
// Ph.L.
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Tête de bœuf, de Michaël Roskam, avec Matthias
Schoenaerts, Jeanne Dandoy, Barbara Sarafian, Jeroen Perceval. 2 h 15 min.
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