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Cinéma  (2 mai 2013)

Huis clos vers la terre promise

© La Pirogue

Dans “La Pirogue”, Moussa Touré expose le destin, à la fois tragique et héroïque, de ces Africains de l’Est prêts à tout perdre pour rejoindre l’Europe sur de fragiles esquifs.

Elles sont belles, les pirogues sénégalaises… Pleines de couleurs, elles font le bonheur des touristes en mal de clichés souvenirs. Ce qu’ils savent moins, c’est que ces embarcations destinées à la pêche servent aussi de passerelles dangereuses entre deux mondes. L’un, celui de la terre natale d’Afrique où les perspectives d’avenir ne sont guère réjouissantes : chômage, misère, désespoir… L’autre, l’eldorado européen, si tentant lorsqu’il prend les contours des îles Canaries, éloignées de quelque 1.500 kilomètres…

Le film de Moussa Touré s’ouvre par une impressionnante scène de lutte, très physique, presque charnelle. Le ton est donné : l’histoire contée ici, fidèle à la réalité de tant d’Africains en mal d’avenir, sera celle d’une lutte contre la mort et la mer. Baye Laye, conducteur de pirogue installé dans la banlieue de Dakar, est chargé, malgré lui, de conduire une trentaine d’hommes au large, vers l’impossible Eldorado européen. Un beau soir, après le versement aux passeurs des sommes astronomiques d’usage, ces passagers se retrouvent sous sa responsabilité dans l’espace confiné de sa pirogue, sans trop savoir s’ils s’en sortiront vivants. Côte à côte, des Wolofs, des Peuls, des Toucouleurs : toutes ces ethnies s’apprêtent à vivre dans la promiscuité étouffante et monotone de la traversée. Au début, plein d’enthousiasme, chacun raconte son avenir tel qu’il le rêve : devenir footballeur, ouvrir un commerce, rejoindre un proche à Paris, etc. Petit à petit, les épreuves s’accumulent : la tempête, la présence d’un passager clandestin, la panne, la faim et la soif, les désaccords… Et puis, sans crier gare, survient cet insupportable dilemme : venir en aide aux passagers d’une autre pirogue, en pleine dérive, et briser ainsi tous ces rêves? Ou continuer la route prévue, condamnant les autres à une mort certaine?

Une plaie ravivée

Moussa Touré n’a pas eu la vie facile pour tourner son film. C’est qu’il est bien connu au Sénégal et que les autorités ne l’aiment pas trop voir planter son couteau dans la plaie africaine: au lieu d’offrir une perspective à leurs ressortissants, tant de responsables préfèrent les voir partir et empocher, directement ou pas, d’importantes sommes d’argent. Autant de contestataires et de bouches à nourrir en moins… La pirogue devient ainsi la métaphore d’un pays qui part à la dérive. Venu commenter son film au Festival international du film francophone (Fiff) à Namur l’automne dernier, le réalisateur n’a pas caché avoir voulu présenter une facette de l’Afrique qui ne percole pas assez ici, en Europe, via les médias dominants. Et, plus qu’inciter les candidats migrants à rester au pays, exposer surtout cette “Afrique qui saigne”. Tout en redoutant la projection de “La Pirogue” dans son pays natal, car “la réalité ravive des plaies douloureuses”.

Les visages au plus près

En mettant d’abord en scène les préparatifs et les déchirements familiaux qui les accompagnent, puis la traversée elle-même, le film échappe aux longueurs. Le spectateur étouffe avec les passagers dans l’embarcation. Vit au plus près les émotions de ceux qui savent, sans l’admettre, que leur aventure est suicidaire. Se replie en lui-même, avec le silence des protagonistes dont les visages parlent par eux-mêmes. Tournée en pleine révolution arabe, l’œuvre de Moussa Touré a une portée qui s’étend bien au-delà du Sénégal. Rien qu’en Tunisie, on estime à un millier de personnes, au bas mot, les émigrés par la mer qui n’ont jamais donné signe de vie après leur fuite vers un monde meilleur, juste après la Révolution de jasmin.

//PHL

>> La Pirogue • fiction de 87 minutes • 2012 • De Moussa Touré, avec Souleymane Seye Ndiaye, Laïty Fall, Malamine Dramé “Yalenguen”, Balla Diara.


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