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A suivre... (7 février 2013)

Les mains d'or

Mauvais temps pour les emplois industriels. Ford Genk, Duferco, NLMK, Arcelor-Mittal, HP, Alcatel, Balta, Dow Chemical… résonnent comme autant de catastrophes pour les travailleurs. Ils en sortent “laminés”, comme l’acier que certains d’entre eux manipulent et rendent résistant. “Comment rendre incassable le cœur de l'homme?”, interroge l'écrivaine Jeanne Benameur.

Cette fin janvier, Arcelor-Mittal annonce la fermeture de sept des douze lignes de production du bassin sidérurgique liégeois. Cette fois, c'est la phase à froid qui sera touchée de plein fouet par les licenciements. Colère des travailleurs. Déclaration d'empathie des responsables politiques. Haro sur le patron indien qualifié de voyou. On parle de jour noir pour l'industrie belge.

Evénement d'un tout autre genre : cette fin janvier, Actes Sud (éditeur) diffuse en format poche le roman Les insurrections singulières, écrit par Jeanne Benameur deux ans plus tôt. Quel rapport entre le drame bien réel vécu par ces travailleurs liégeois et la publication d'un roman? Eh bien, cette impression que l'histoire inventée à propos d’un homme permet de s'approcher de vécus plus intimes et bien réels d'ouvriers face à la “précarisation” de leur travail.

La fiction de Jeanne Benameur entre en dialogue avec le réel, d'autant plus précisément qu'elle s'est nourrie de rencontres avec des ouvriers d'Arcelor-Mittal à Montataire (Oise) et de Godin à Guise (Aisne). Durant un an – entre 2005 et 2006 –, au cours de “café paroles” initiés par le collectif français La Forge, Jean ne Benameur a écouté et mis en mots leurs échanges.

J'ai été touchée par ce qui se disait, par la lucidité terrible de ceux qui voyaient bien que le travail avait perdu toute valeur, que les hommes ne comptaient simplement plus, explique-t-elle. J'ai été touchée par la détresse et la dignité, par la colère et tout ce qui ne parvenait pas à se dire. (…) A la dernière rencontre, l'un des participants a dit : ‘Et maintenant, où on va parler ?’ Cette question m'a émue profondément. Je ne sais pas où ces femmes et ces hommes peuvent parler aujourd'hui mais ce que je savais, c'est que j'écrirais quelque chose. Ma façon à moi de poursuivre.

Antoine est ouvrier à “Lusine”, comme il l'appelle. Son père aussi y a passé sa vie de travail. Pour faire plaisir à ses parents, parce qu'il fallait avoir une “meilleure vie”, il est allé à la fac. Mais il s'y est senti “décalé”. Finalement, il “fait l'ouvrier”, là où son père a “été ouvrier”. Cette distinction pour exprimer son sentiment de ne pas appartenir à la “classe ouvrière”, “la vraie”, pour indiquer aussi combien le statut a changé entre les deux générations de travailleurs. Appartenance à un groupe et solidarité n'ont plus la même empreinte sur les hommes. Alors que l'entreprise stoppe la ligne de galvanisation où il travaille et que les licenciements menacent, Antoine voudrait partir au combat. Il enrage, participe aux réunions syndicales, et lui qui regrette de manquer trop souvent de mots, prend la parole. “Il faut dire que c'était facile, on nous servait, à chaud, la délocalisation (…) Et le terrible mot de 'crise' occupait les gorges derrière les mots. C'est avec ça qu'on fait un groupe. (…). Il en y avait quand ils parlaient à voix basse à la pause, c'était comme si on leur avait coupé les bras? J'en ai surpris plus d'un à jeter vite fait un coup d'œil sur ses mains. Bonnes à quoi, hein, les mains qui ne travaillent plus? C'était comme chez mes parents. La peur du 'rien faire'. Je m'y retrouvais d'un coup.

Utilisant sa prime pour départ volontaire, il part pour le Brésil. Direction : Monlevade, là où d'autres font le même job pour moins cher, là où son entreprise délocalise. Il y éprouvera la signification du mot fraternité, “ce sentiment d'être chez soi, sur terre, avec les autres”, malgré la concurrence qui les sépare. Il y vivra un trajet intérieur, empli de remises en question. "Comme c'est étrange de penser que pour être une famille 'normale', il faut être séparés toute la journée, le père à l'usine, nous à l'école, la mère à la maison, pense-t-il en relisant le carnet de notes de son père. Une famille normale ne regarde jamais le soleil se lever, parents et enfants ensemble, en silence. Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir un peu plus de temps ensemble chaque jour (…)?” Quelles concessions – vitales parfois – ne fait-on pas pour rester dans “l'emploi”?, interroge un des personnages.

Solidaire et solide ont la même racine, rappelle Jeanne Benameur dans une chronique sur le travail. Et il semblerait que cela soit plus facile d'être solidaire quand on est solide. Mais comment être solide quand on vous demande de travailler en équipe, tout en vous divisant, en vous isolant? Comment être solide quand on est endettés, quand on craint pour l'avenir de ses enfants? Où trouver la force d'être solidaire?

Avec Les insurrections singulières, les révolutions semblent d'abord intérieures, avant d'être collectives. Eteindre un téléviseur pour recevoir des amis, discuter en famille. Arrêter de se créer des besoins inutiles. Créer des caisses d'entraide. Ou, comme Antoine, chercher sa voie, sa liberté, oser saisir les perches que la vie tend de temps en temps… Et expérimenter – à petite échelle déjà – la solidarité.

// CATHERINE DALOZE

>> Jeanne Benameur • Les insurrections singulières • éd. Actes Sud • coll. Babel • 2013 • 228 p. Voir aussi www.laforge.org


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