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Vie Quotidienne (8 janvier 2015)


#JeSuisCharlie

Alors que cette édition du 8 janvier tournait sur les rotatives, nous apprenions avec effroi les assassinats perpétrés à la rédaction de Charlie Hebdo. Ces événements abominables génèrent émotions, révoltes, mais aussi dans le chef de notre rédaction un regain de volontarisme dans la manière de pratiquer nos métiers, de défendre des valeurs de tolérance, de justice, de solidarité.

Pur hasard, le numéro d’En Marche du 8 janvier contient un article intitulé : « Construire un islam européen ? », signé de Christian Van Rompaey, qui fut rédacteur en chef d’En Marche durant de longues années et collabore encore occasionnellement au journal. Son papier participe de ces valeurs que nous défendons, alors que les amalgames guettent, que les stigmatisations grondent.

« Le meilleur hommage à leur rendre (aux victimes), c’est refuser la récupération et l’amalgame, se mobiliser pour protéger les musulmans qui rasent déjà les murs, propose la cinéaste maroco-israélo-française, Simone Bitton(1). Refuser tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à l’union nationale avec les racistes qui dansent sur le sang. Et penser à eux (les membres de Charlie Hebdo) très fort, à leur talent, aux éclats de rires qu’ils nous ont offerts depuis des décennies, même si on n’était pas d’accord depuis des années sur un tas de choses (...) ils étaient dans la parole, le dessin, le talent et l’impertinence, des artistes, bouillonnants de vie et avides de liberté. »

Nous souscrivons.

(1) Citée par Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, lors d’un rassemblement à la mémoire des victimes ce jeudi 9 janvier.

Construire un islam européen ?

© BELGIAN_FREELANCE BELGAIMAGE
Autour de l’islam se cristallisent aujourd’hui beaucoup d’interrogations et de crispations. L’islam en terre d'Europe est une expérience inédite bien que la présence musulmane sur le vieux continent ait toujours existé, notamment dans les Balkans où l’on parle explicitement d’ "islam européen".

Abdu est arrivé du Maroc à la fin des années soixante. Seul, il occupe un modeste logement à Molenbeek, à peine meublé. "Bienvenue dans la maison du pauvre" disait-il, accueillant, en ouvrant la porte. Venu en Belgique pour gagner sa vie, aider sa famille restée au pays, il n’était pas dans son intention de s’éterniser dans ce pays gris et humide. Pour ses voisins belges, c’était comme recevoir une carte de vacances ensoleillées en plein hiver.

À l’époque, les Belges, comme leurs voisins français, allemands, néerlandais… ne portaient pas trop d’attention au caractère musulman de ces maghrébins qui s’installaient dans des quartiers de plus en plus délaissés. Abdu faisait ses prières. Au travail, avec l’accord de son chef d’atelier, il installait son tapis de prière derrière la rotative du journal où il avait finalement trouvé un travail stable après quelques années de galère.

Les Belges découvrent l’islam

Dans les années 70-80, la situation d’Abdu et de la majorité des immigrés musulmans va complètement changer. Les familles se retrouvent au nom du regroupement familial. Avec l’arrivée de Turcs, la présence de l’islam s’intensifie. De nouveaux besoins s’expriment. Les musulmans attendent une meilleure organisation du culte. Pour leurs enfants, ils souhaitent des adaptations dans les écoles. Ils demandent qu’on respecte leur mode de vie et que l’on reconnaisse leurs droits de nouveaux citoyens. D’autres souhaits, parfois très controversés, comme l'adaptation de la nourriture dans les espaces collectifs, l’organisation non mixte des cours de gymnastique ou de natation, le port du voile… posent la question du statut de l’islam dans l’espace public.

"L'islam commence à apparaître comme une composante idéologique et institutionnelle des sociétés européennes. Dans les villes, entre le clocher de don Camillo et la maison du peuple de Peppone… se glisse le minaret" écrit le sociologue Felice Dassetto(1). "La lame de fond majeure de la révolution islamique ou de l'intégrisme dans ces années 80-90 n'est pas celle qui est souvent évoquée par les médias ou les hommes politiques", poursuit-il. Contrairement à ce que laissent entendre certains discours ou certains fantasmes, il n'y a pas eu de stratégies concertées de grande ampleur sous-tendant l’arrivée des musulmans en Europe.

On assiste, autour de la mosquée, comme pour les catholiques autour de la paroisse, au développement d’une communauté qui cherche à s’organiser, à sortir de la marginalité, à être respectée dans le contexte européen d’États laïcs, pluralistes, démocratiques, très différents de ceux des pays d’origine. Mais, con state l’historien français Henry Laurens : "En Europe, la peur alimente le ressentiment et conduit à vouloir enfermer dans leur identité d’origine les musulmans européens tout en regrettant leur manque d’intégration"(2).

Une expérience qui inquiète

Selon le politologue Gilles Kepel, l'islam, en Occident n'aurait pas encore vraiment choisi son destin : soit une réelle "européanisation", soit un rôle de "tête de pont" de l'extrémisme visant une nouvelle "expansion islamique sur le sol européen"(3). La rencontre de l’Europe et de l’immigration musulmane est bien plus qu’une quelconque rencontre "culturelle". La "bonne volonté" n’y suffit pas. Pour échapper au pluralisme mou, aux bons sentiments, à la naïveté des idées, il faut une meilleure connaissance de la culture des uns et des autres, des différentes religions et de leurs rapports à la laïcité. Il faut respecter les identités et accepter la diversité culturelle.

L’opposition aux musulmans a favorisé dans toute l’Europe la formation de partis politiques réclamant la fin de l’immigration, la limitation du droit des immigrés. De la Finlande à la France, de l’Autriche aux Pays-Bas, de la Pologne à la Bulgarie, ces partis représentent de 5 à 25% des suffrages. S’ils ne s’entendent pas toujours sur les questions de société, sur l’Europe et sur la mondialisation, "tous se retrouvent sur une critique virulente de l'islam et du multiculturalisme".

Pour Olivier Roy, politologue français spécialiste de l’islam, il s’agit d’une profonde erreur de compréhension du développement de l’islam européen. "Le renouveau religieux parmi les musulmans d’Europe ne se fait pas par l’importation de traditions religieuses venues du Moyen-Orient et du monde musulman en général… C’est une erreur de considérer que les phénomènes de radicalisation religieuse (salafisme) ou politique (Al Quaïda) sont des importations des cultures et des conflits du Moyen- Orient". Si l’islam a pénétré l’Occident de manière durable, écrit-il, c’est moins la conséquence d’un projet politique de "civilisation" que celle de la mondialisation des idées, des croyances et des migrations(3).

L’islam européen est à un tournant

L'islam qui se développe en Europe n'est pas un projet de "civilisation islamique" sur le continent. Le musulman européen chercherait plutôt à vivre sa religion dans le contexte d’une Europe laïque et démocratique détachée du contexte culturel oriental. Selon Olivier Roy, cette distinction entre la culture et le religieux est la condition nécessaire à l'émergence d'un islam européen. De la même manière le catholicisme a pu se développer dans des civilisations très différentes sans modifier ses fondements théologiques.

Bien qu’étant la minorité religieuse la plus importante, les musulmans ont bien du mal à s’organiser. La diaspora musulmane est multiple au niveau européen. Ils sont le plus souvent arabes, mais aussi iraniens, indonésiens, occidentaux convertis parlant français, anglais, allemands, néerlandais… Ils ne sont soumis à aucune autorité religieuse ou si peu. En Europe occidentale, les immigrés musulmans sont déracinés et fragilisés. Sur le plan local, la communauté se forme pour l’essentiel autour de la mosquée où l’on peut entendre à la fois la défense d’un humanisme bien éloigné de l’appel à la violence et au martyre, mais aussi l’appel au respect étroit de "l’islam vrai" qu’incarne le salafisme, dont la branche la plus extrême peut pousser au djihadisme.

Mais l’option d’un islam ouvert, humaniste ne deviendra crédible pour les Européens qu’à la condition que celui-ci s’exprime haut et fort et sorte de la confidentialité dans laquelle il s’enferme. Il ne suffit pas dire que l’islamisme extrême n’est pas digne d’un musulman, comme l’exprime avec vivacité le philosophe Abdennour Bidar dans son "Manifeste pour un islam européen"(4) : "Qu'attendons-nous pour définir solennellement et promouvoir enfin devant la conscience publique européenne une identité propre de l'islam d'Europe ? Pourquoi tardons-nous si dramatiquement à nous distinguer et à nous désolidariser des deux cancers de l'islam que sont l'intégrisme violent et le conservatisme rétrograde ?... Force est de le constater : pour l'instant il n'y a pas de conscience de soi de l'islam en Europe. Ne nous étonnons pas, dès lors, que les sociétés européennes où nous vivons restent dubitatives à notre égard, se demandant encore et toujours ce qu'un musulman européen peut avoir de réellement différent de son frère oriental. Nous n'avons pas encore donné à nos concitoyens la preuve de notre réelle et sincère appartenance à la modernité européenne."

//CHRISTIAN VAN ROMPAEY

(1) Felice Dassetto, "La construction de l'Islam européen", L’Harmattan, Paris, 1996.

(2) Conférence de Henry Laurens, "Les sociétés musulmanes face à l’Europe", le 4 juillet 2012

(3) Olivier Roy, "Islam en Europe ", paru dans Magazine Eurozine, le 3 mai 2007.

(4) Abdennour Bidar, "Manifeste pour un islam européen", dans Le Monde, le 14 février 2005.

 Musulmans ou islamistes ? 

L’islam devient la plus importante minorité religieuse d’Europe. Il y aurait quelque 16 millions de musulmans dans l’Union européenne, soit 7% de la population, pour la majorité immigrants ou descendants d’immigrants en Europe occidentale dans les années soixante et septante. Mais on oublie généralement de parler des musulmans des Balkans, convertis durant la présence ottomane. Avec l’importante communauté musulmane de Russie et de ses pays limitrophes, ainsi que les Turcs d’Europe, ils seraient quelque 53 millions pour l’ensemble du continent sur une population européenne de 730 millions de citoyens.

Ces chiffres sont souvent utilisés pour alimenter des sentiments et des mouvements islamophobes. Ces 53 millions de musulmans ne sont pas autant "d’islamistes" !

Les uns se disent de culture musulmane, sans aucune connotation religieuse. Les autres font référence à une éthique musulmane. D’autres attendent de l’islam une ritualisation des grands évènements de la vie (le mariage, la mort…). Et pour d’autres encore, l’islam est aussi un projet politique…

Djihadisme européen

La Belgique compterait à ce jour près de 300 ressortissants prenant une part active au conflit syrien, parmi les 15.000 combattants étrangers.

Selon les analystes, rapporte l'association Pax Christi , la Belgique serait – proportionnellement, par rapport à la population - le premier pays européen "exportateur" de djihadistes, le troisième pays européen concerné par ce phénomène, derrière la France et le Royaume-Uni. Les djihadistes belges sont jeunes. Plus de la moitié d’entre eux ont entre 20 et 35 ans. Ils viennent pour la plupart d’Anvers, de Vilvorde, de Malines et de Bruxelles. "Un djihadiste belge sur six en Syrie" serait une femme et 80% d’entre eux étaient supposés d’origine marocaine en juin 2014.

La plupart sont en quête d’idéaux et d’identité. Ils font partie de cette génération d’entre-deux qui a perdu ses racines et pour lesquels l’avenir apparaît bouché. Ces djihadistes n’ont pas de "projet de civilisation". Ils n’ont d’autre projet politique que le suicide. Ils représentent surtout un sérieux problème social et sécuritaire, commente le politologue français Olivier Roy.

Les motivations qui poussent Belges et Européens à partir combattre au Moyen-Orient se trouvent au sein de nos sociétés, et non dans l’appartenance confessionnelle. De nombreuses instances et individualités musulmanes, peu relayées par les médias, ont fermement condamné les exactions des radicaux. L’analyse des communiqués de djihadistes indique par ailleurs une très faible connaissance des écrits coraniques. Elle suggère un enrôlement de nature sectaire plus que religieuse.

Avec plus ou moins 623.000 personnes de culture musulmane en Belgique, le nombre de personnes parties combattre ne représente pas une minorité statistique, mais des cas individuels. Cela dit, le phénomène est interpellant car ces estimations chiffrées progressent aussi vite que l’évolution du conflit. Le nombre de départs européens a triplé entre avril 2013 et 2014. Les prévisions pour l’avenir sont à la hausse.

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