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La santé des enfants (18 septembre 2014)

Privés de soleil

© Association française pour le Xeroderma Pigmentosum

En raison d'une maladie rarissime et socialement éprouvante, les "Enfants de la lune" sont obligés de se protéger en permanence contre la lumière naturelle et artificielle. Au prix de précautions draconiennes, ils peuvent toutefois mener une vie moins difficile. Rencontre avec un groupe d’enfants et de parents, exceptionnellement présents en Belgique l’été dernier.

"Saute, saute, mon petit lapin… Il n'y aura bientôt plus de mon romarin...". Scandé par une vingtaine de voix d’abord timides, le refrain secoue rapidement la torpeur du local scolaire, transformé pour dix jours en lieu de séjour estival. Bientôt, ce sont quarante pieds excités qui martèlent le carrelage, tandis que la chanson lancée par les bénévoles de Jeunesse & santé se transforme en ouragan sonore. En retrait du cercle enfantin qui s'époumone, quelques mamans, foulard sur la tête, captent la scène sur leur smartphone et marquent le tempo de la tête ou des épaules.

Un lieu de vacances improvisé, cette école namuroise ? Pas vraiment. L’ad mission des enfants dans le bâtiment n’a pu se faire qu’au prix d’une inspection préalable, très pointilleuse. De celles qu'on fait passer à des personnalités ou à des individus exceptionnels. Et, exceptionnels, ces enfants le sont bel et bien ! Ils se surnomment eux-mêmes les "Enfants de la lune". Ils souffrent, en fait, de Xeroderma pigmentosum, une maladie génétique héréditaire très rare (un à quatre cas pour un million d'habitants en Europe et aux États-Unis) qui nécessite une vigilance de tous les instants à l'égard du rayonnement ultraviolet (UV). S'ils ne sont pas parfaitement protégés du soleil mais aussi de certains éclairages artificiels, leur peau subit un vieillissement accéléré. Qui, après quelques années, peut se transformer en diverses formes de cancer de la peau. Le Xeroderma fait partie des maladies dites "orphelines": il concerne à ce jour trois ou quatre enfants en Belgique (un des diagnostics est actuellement incertain) et près d'une soixantaine en France.

Une vie totalement décalée

On croit souvent de tels enfants obligés de vivre la nuit. Erreur. Leur rythme est "simplement" décalé. Ici, lors de ce séjour à Namur mis sur pied par deux organisations sœurs (l’une française et l’autre belge), le petit groupe prenait son petit déjeuner peu avant midi et ne partait en excursion qu'en début de soirée. Entre les deux, ce sont les animateurs de Jeunesse & santé (J&S), l'organisation de jeunesse partenaire de la Mutualité chrétienne, qui prenaient en charge les activités, "funs et délirantes" mais cantonnées à l'intérieur.

Coup de chance : à part l'aménagement des néons (dont il a fallu filtrer les UV), le bâtiment a très vite été déclaré apte à l’accueil des enfants grâce à son double vitrage récent. "Trois mois avant le stage, nous avons soumis le moindre recoin de l'internat à un dosimètre spécial", explique Pierrette Gourmet. Bien que familiarisée à la maladie, la présidente de l'ASBL "Ensemble pour Lola et les Enfants de la lune" ne cache pas avoir été bouleversée, au début du séjour, par la maturité teintée d'inquiétude de ces enfants, pour la plupart encore très jeunes. "Le premier jour, une fillette de sept ans m'a demandé si j'étais certaine que les lieux étaient sans danger pour elle. J'ai dû lui faire la preuve, en manipulant le dosimètre sous ses propres yeux, qu'elle pouvait se promener ici sans crainte..."

© Philippe Lamotte
À part les horaires en vigueur et la pigmentation marquée du visage des enfants, rien ne distingue vraiment ce séjour d'un autre camp d'été. Les larges baies vitrées laissent en effet la lumière passer normalement. On remarque toutefois la présence, dans les chambres, de masques et de toiles d'un genre particulier : conçus à l'origine par la Nasa, ils permettent aux jeunes de se rendre à l'extérieur pendant quelques minutes tout en maintenant chaque centimètre carré de leur peau protégé des UV. On remarque, également, la présence de nombreux adultes et d'autres enfants, issus des fratries. Au total, 42 enfants étaient accueillis à Namur. Car c’est la toute première fois, depuis treize ans, que ces enfants et leurs familles, françaises et/ou maghrébines en bonne partie (lire ci-dessous), s’offrent tous ensemble un séjour hors de l'Hexagone, invités par l'ASBL belge. Au menu: baigna des à Aqualibi, promenades dans les grottes de Han-sur-Lesse, jeux au parc d'attraction de la Citadelle de Namur, visites de l'Atomium et du domaine de Chevetogne, etc. Le tout strictement après 21h30 ! Rien que du bonheur pour ces enfants qui, habitant aux quatre coins de France, de Belgique ou du Maghreb, n'ont que rarement l'occasion de se retrouver.

Les ados, pépites des familles

"Ce genre de séjour est d'une importance capitale, explique Julie Antoine, la maman de Lola, 11 ans, une fillette dont le diagnostic établi il y a huit ans avait entraîné un énorme mobilisation dans la région namuroise. D'abord parce qu'il permet d'informer en douceur les frères et les sœurs sur les mesures de protection indispensables à respecter à la maison . Ces enfants réalisent alors qu'ils ne sont plus seuls au monde à vivre ces difficultés". Julie Antoine se souvient de l'époque où fut diagnostiqué le Xeroderma chez sa fille âgée, alors de trois ans, et des mesures de protection adoptées dans la précipitation : retrait instantané de l'école (pour six longs mois), pose de sacs plastiques sur tous les puits de lumière de la maison, suppression des activités extérieures, etc... "Ce genre de séjour permet également aux parents de souffler un peu. Pendant que leur enfant malade est pris en charge par les animateurs, les conjoints peuvent sortir ensemble en ville ou passer du temps à choyer un peu plus le frère ou la sœur qui n'est pas malade. Ces moments sont si rares..."

De l'avis général, ce qui a fait le plus chaud au cœur cet été, à Namur, c'est la présence dans le groupe de quelques grands adolescents eux-mêmes Enfants de la lune. "Ils sont l'incarnation de nos espoirs à tous, commente avec enthousiasme Wafa Chaabi, jeune présidente de l'Association française pour le Xeroderma Pigmentosum. Il y a vingt ans, aucune des familles présentes ici n'aurait pu miser sur un avenir serein pour leur enfant. Grâce, notamment, au diagnostic précoce, nous savons dorénavant qu'une vie quasiment normale est possible à plus long terme". Derrière elle passent Thomas et Vincent, deux grands jumeaux Enfants de la lune qui, à Bordeaux, suivent avec fruit leur parcours universitaire. Un tableau tout simple, mais qui n'est rien d'autre qu'une révolution prometteuse - sans tapage ni éclat de voix - au pays quelque peu étrange de ces enfants qui s'animent au crépuscule.

//PHILIPPE LAMOTTE

>> Plus d'infos : "Ensemble pour Lola et les Enfants de la lune" - rue Trieux des Gouttes, 39 - 5080 Émines - 0497 53 29 17.

 La petite enfance décisive 

Le professeur Alain Sarasin est oncogénéticien. Directeur de recherche à l'Institut Gustave Roussy, à l'Université de Paris Sud et au CNRS, il est l'un des rares spécialistes européens à bien connaître les Enfants de la lune, pour les avoir suivis et accompagnés pendant près de trente ans.

En Marche : Le Xeroderma pourra-t-il être guéri un jour ?

Alain Sarasin : Pour l'instant, les bonnes nouvelles sont rares. Malgré des résultats encourageants dans le domaine des greffes de peau obtenues grâce aux souris, il ne faut rien attendre de majeur avant au mieux dix ou quinze ans. De là, l'importance fondamentale du diagnostic précoce, si possible dès la naissance. Plus tôt la maladie est identifiée, plus on réduit la probabilité de la voir évoluer en lésions, puis en cancers de la peau. Or que se passe-t-il ? En raison de sa rareté, 99,99 % des médecins ignorent tout de cette maladie. Résultat : les enfants sont diagnostiqués tardivement, généralement vers l’âge de deux ou trois ans à la suite de phénomènes anormaux observés par les parents : des rougeurs sévères après une exposition au soleil, même minime ou même sous la pluie ; une cicatrisation longue et difficile ; etc. Ils sont ensuite ballottés de médecin en médecin, d'hôpital en hôpital. Pendant cette période décisive, toute exposition aux UV entraîne des lésions de la peau susceptibles de se transformer en tumeurs dès les années qui suivent.

EM : Il n'y a vraiment pas plus d'espoirs à l'horizon ?

A.S. : Si ! Il y a quinze ans à peine, une certaine "école" préconisait - je résume - de "profiter de la vie" puisque celle de ces enfants allait de toute façon durer dix ans tout au plus. Mais une autre école, venue des États-Unis, a compris toute l'importance de ce diagnostic précoce et d’une protection radicale contre les UV. Le fait de voir arriver des enfants mutilés du Maghreb, où la maladie est dix à quinze fois plus présente qu’en Europe(1) a donné un coup d’accélérateur à cette manière de voir. Du coup, on insiste encore davantage sur la protection et la prévention. Il y a quinze ans, les Enfants de la lune vivaient rarement au-delà de l'âge de quinze ans. Mais aujourd'hui il n'est plus rare de voir des adolescents en bonne santé entrer dans l’enseignement supérieur et mener une vie "normale". Des adultes vivent jusqu'à quarante ans, voire cinquante ans. En outre, dans leur malchance, ces familles bénéficient d'un atout : les anomalies de la peau sont facilement détectables à l’oeil nu. Si elles sont traitées précocement, elles peuvent être combattues avec une certaine efficacité. Sans compter que ces enfants développent généralement une force de caractère peu commune.

//PHL

(1) Un cas sur 100.000 voire 50.000 au lieu d’un cas sur 1 million.

Disneyland : un rêve accessible

Témoignage de Wafa Chaabi, présidente de l'Association française pour le Xeroderma Pigmentosum, elle-même maman de deux enfants, dont une fillette de cinq ans atteinte par la maladie.

> "Le problème de cette maladie, c'est que les Enfants de la lune – ils sont 82 en France - ne rentrent dans aucune case administrative classique. Cela explique pourquoi, tant en France qu'en Belgique, ils bénéficient, selon leur lieu de naissance, de régimes différents en matière de reconnaissance de la maladie et de prise en charge par les autorités publiques. Or cette maladie coûte cher aux familles. A cause des UV, il faut filtrer tant l’habitation que l'école, la voiture, etc. L'autre problème, c'est qu'à l'inverse d'autres pathologies, le vrai 'bobo', qui peut avoir une apparence initiale aussi bénigne qu'une rougeur de la peau, ne sort ses effets qu'après deux ou trois ans. Mais sous le forme de tumeurs !".

> "Personnellement, j'ai connu avec ma fille deux moments très durs sur le plan émotionnel. D'abord, l'annonce du diagnostic, il y a trois ans. D'un coup, toute notre vie familiale, tout ce que mon mari et moi avions méticuleusement préparé a basculé. Plus de sorties extérieures ! Plus de promenades dans un simple parc ! Notre maison s'est transformée en une prison dorée. Apercevoir des enfants en balade dans la nature était devenu une torture. Le deuxième temps fort, fin de l’année dernière, a été l'annonce d'une suspicion de mélanome chez ma fille. Du fait qu’elle était parfaitement protégée contre les UV depuis deux ans, j’avais cru que le danger de tumeur était définitivement écarté. Une erreur, évidemment, puisque ce sont les premières années de la vie qui sont les plus importantes. A la suite de cela, elle a dû être opérée à la bouche. Nous avons craint qu'elle soit défigurée. Mais il n'en a rien été".

> "Pour nous, familles des Enfants de la lune, le dosimètre est (avec le masque) un véritable kit de survie. Nous sommes en effet obligés de nous demander sans cesse, dans la vie de tous les jours, s'il y a des UV qui nous menacent, qui nous veulent du mal… Chaque nouveau lieu doit être testé préalablement à tout déplacement. Si les lampes LED ne sont pas dangereuses, les lampes économiques et les néons, eux, le sont parfois. Mais il est impossible de le savoir par un simple examen visuel. Ce dosimètre nous coûte cher puisqu'en plus du prix d'achat (2.700 euros), il doit être révisé régulièrement aux États-Unis. Pour réduire les frais, nous tentons de regrouper vers ce pays les envois des dosimètres belges et français. L'avantage principal de cet appareil, c'est qu'il aide les familles à sortir de fatalité: non, leur enfant n'est pas privé de toute vie sociale. Même Disneyland, au prix de certaines précautions, lui est accessible..."

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